Procès du putsch manqué : le Directeur de publication d’un mensuel dénonce le comportement du procureur militaire

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Adama Ouédraogo dit Damiss
Ceci est une lettre ouverte d’un inculpé au procès du putsch manqué de septembre 2015 au Burkina. Dans ce document adressé au président du Faso Roch Kaboré, le journaliste Adama Ouédraogo dit Damiss, Directeur de publication du mensuel « Le Dossier » se plaint du comportement du procureur militaire Alioun Zanré.

Excellence Monsieur le Président du Faso,
Après une longue réflexion, j’ai pris ma plume pour vous adresser cette lettre ouverte afin de vous tenir informé de l’arbitraire et de la haine dont je suis victime de la part du procureur militaire, le commandant Alioun Zanré. En privé, j’avais cru et soutenu naïvement auprès d’amis que le chef du parquet militaire, dont on dit beaucoup de mal, était jugé trop sévèrement par rapport à la réalité. Je viens d’apprendre à mes dépens qu’Alioun Zanré est le prototype du magistrat dangereux pour la République et l’Etat de droit. Si j’ose tenir de tels propos, c’est en raison de la gravité des faits que je voudrais vous exposer.

Excellence Monsieur le Président du Faso,
Dans la matinée du samedi 31 mars 2018, alors que j’étais reparti à mon bureau pour récupérer ma convocation pour l’audience, que j’y avais laissée la veille, je constate que l’un de mes produits contre l’asthme, maladie dont je souffre sérieusement, n’avait plus d’effet sur ma crise, c’est-à-dire que son contenu était vide. Je décide alors d’aller en pharmacie pour l’acheter avant de me rendre à l’audience. Toutefois, je prends préalablement le soin d’envoyer un message (SMS) au procureur militaire pour l’en aviser. En plus de cela, un coaccusé présent dans la salle a pris l’initiative d’informer le procureur militaire, via le greffe, de mon probable retard pour un motif légitime. A mon arrivée en salle d’audience, je me présente au parquet et quelle ne fut ma surprise de voir des gendarmes me signifier que j’étais en état d’arrestation. Par humanisme, les gendarmes m’escorteront à mon domicile, à quelques encablures de la salle des Banquets de Ouaga 2000, afin que j’emporte tous mes médicaments avant de rejoindre le lieu de mon incarcération. Je fus ensuite conduit à la brigade de gendarmerie de Kosyam, où j’ai été placé en garde à vue pendant 72 heures.

J’y apprends plus tard que c’est le parquet militaire qui aurait décidé d’appliquer l’article 150 du Code de procédure pénale, qui dispose en substance: «L’accusé qui a été mis en liberté provisoire ou qui n’a jamais été détenu au cours de l’information doit se constituer prisonnier au plus tard la veille de l’audience. Les dispositions de l’alinéa précédent ne font pas obstacle, le cas échéant, à l’exécution par le ministère public de l’ordonnance de prise de corps prévue à l’article 215. Toutefois, sont exceptés de cette mesure les accusés qui résident au siège de la [Cour d’appel] à moins que, dûment convoqués par voie administrative au greffe de la [chambre criminelle] et sans motif légitime d’excuse, ils ne se soient pas présentés au jour fixé pour être interrogés par le président de la [chambre criminelle] ou par le magistrat qui le remplace.» Le libellé de cet article est clair, net, limpide et dépourvu de la moindre ambiguïté. Ai-je refusé de me présenter devant le président du tribunal pour être interrogé alors que j’y étais convoqué? D’ailleurs de quel droit le procureur militaire, qui est partie au procès au même titre que la défense et la partie civile, peut-il décider de l’arrestation d’un accusé sans une décision du tribunal? Pire, la loi pénale étant d’interprétation stricte, nulle part il n’est écrit que l’accusé qui vient en retard doit être déposé à la maison d’arrêt. Dès l’ouverture du procès, seul le président du tribunal militaire devient le maître de la procédure et lui seul peut, par une ordonnance motivée, prendre une mesure contre un accusé dès que le dossier est renvoyé devant la chambre de première instance pour y être jugé. Les pouvoirs du procureur s’arrêtent là et il n’intervient au procès que sur demande du juge pour tout éclairage éventuel. Dans le cadre du présent procès, on assiste hélas à des «innovations» en matière de procédure judiciaire et le procureur militaire est à la manœuvre dans la conduite des audiences, au mépris du respect des sacro-saints principes de la justice et de mes droits individuels. L’article 112 du Code de justice militaire dispose: «Si l’inculpé ou le prévenu non détenu refuse de comparaître, sommation d’obéir lui est faite au nom de la loi par un agent de la force publique assermenté commis à cet effet par le président. Il est dressé procès-verbal par cet agent de la sommation et de la réponse de l’inculpé ou du prévenu. Si l’inculpé ou le prévenu n’obtempère pas à la sommation, le président décerne contre lui un mandat d’amener.» A la lumière de ces dispositions, il apparaît clairement qu’on ne décerne pas automatiquement de mandat de dépôt contre un accusé parce qu’il n’a pas répondu présent à une audience où les débats de fond ne sont pas encore ouverts. La haine d’Alioun Zanré pour ma personne est, sans l’ombre d’un doute, due à mes écrits dans mon journal, «Le Dossier», contre certaines pratiques inacceptables de la justice militaire, qui l’ont rendu fou furieux au point qu’il foule royalement aux pieds les règles élémentaires de droit. Pourtant, en bon juriste il sait, mieux que quiconque, que lorsqu’un journaliste fait des écrits et qu’une personne estime y être diffamée, celle-ci dispose de voies de recours comme une plainte en justice pour diffamation, une saisine du Conseil supérieur de la communication ou un droit de réponse. Le commandant Zanré écarte toutes ces pistes légales et tord allègrement le coup au droit en empruntant le petit chemin de la vengeance contre ma personne. Mes avocats avaient des éléments juridiques pour lui apporter la réplique mais l’un d’eux, Me Mahamadou Bambara en l’occurrence, qui est un homme discret, posé et efficace, a préféré, par sagesse, ne pas ouvrir de front avec le parquet, optant plutôt pour un profil bas, l’essentiel étant que j’obtienne la liberté pour bénéficier de soins appropriés, surtout après 72 heures de détention éprouvante. J’ai ainsi suivi les conseils de Me Bambara et de Me Stéphane Ouédraogo et gardé le silence. Mais j’ai décidé à présent de briser ce silence, eu égard au fait que le procureur Alioun Zanré poursuit ses actes d’injustice envers ma personne. J’en profite d’ailleurs pour présenter mes excuses à mes avocats, qui ne vont sans doute pas apprécier mon action. Mais j’ai décidé, en toute responsabilité, de m’ériger vigoureusement contre l’injustice et l’arbitraire.

A la suite du premier incident ci-dessus rapporté avec le parquet, et alors que je croyais la tension avec le commandant Zanré retombée, je découvre avec stupeur que ce dernier est viscéralement déterminé à violer mes droits. En effet, compte tenu du fait que l’audience reprend le 9 mai prochain, je voulais profiter de cet intervalle pour aller faire un bilan sanitaire global et consulter un médecin qui a une expérience éprouvée de mes ennuis sanitaires. Par le biais de mon avocat Me Paul Kéré, une première lettre d’information est adressée au président du tribunal militaire avec ampliation au parquet et une seconde adressée au procureur Zanré pour obtenir une autorisation de voyager. Mais à ma grande surprise, la requête est l’objet d’un rejet non motivé. J’apprendrai alors dans les coulisses que le commandant Alioun Zanré était en colère contre mon conseil, Me Kéré, qui lui aurait manqué de respect. En quoi les conflits et les incompatibilités d’humeur avec Maître Kéré doivent-ils impacter sur un sujet aussi grave que ma santé? Pourquoi ces récriminations subjectives doivent-elles obstruer l’expression objective du Droit? En dépit de la légèreté des récriminations du Procureur Zanré, j’obtins néanmoins de Me Kéré qu’il accepte de présenter des excuses réparatrices pour réduire la fâcherie de M. Zanré. Maître Kéré s’exécutera avec humilité et présenta au Procureur ses excuses les plus sincères. Passé cet épisode, je décide cette fois d’introduire une seconde lettre via Me Bambara, dont le profil caractériel est censé être plus compatible avec les besoins psychologiques du Procureur Zanré, en espérant en conséquence une réponse favorable du parquet militaire. Cette précaution ne suffira pas à infléchir la position du Procureur Zanré, car au moment où j’écrivais ces lignes, je n’avais pas obtenu de réponse une semaine après la demande alors qu’il sait pertinemment qu’il y a un délai raisonnable pour mon voyage. Sans doute qu’il va assener une fois encore une réponse négative, signant sa grande détermination subjective à m’empêcher d’accéder aux soins auxquels j’ai droit. Cette négation de mon droit d’aller me soigner hors du pays contrarie mes fréquents voyages sans histoires pendant la procédure. Pour le parquet militaire, Adama Ouédraogo Damiss peut crever s’il veut, cela ne lui fait ni chaud ni froid. Comment peut-on troquer des responsabilités si graves et si hautes que les siennes contre pareille cruauté? Je comprends maintenant pourquoi Monsieur Zanré se gargarise d’avoir l’âme dure, lui qui évoque fièrement son long vécu en République Démocratique du Congo (RDC), où il a vu des enfants abattus ou brûlés vifs.

Quand un homme vit longtemps dans un tel milieu où la vie humaine est banalisée, il finit par avoir un cœur de pierre et ce ne sont pas les jérémiades d’un asthmatique sévère qui pourraient l’émouvoir. Toutefois, refuser de me laisser bénéficier de soins n’est ni plus ni moins qu’une attitude criminelle, de mon point de vue, que je voudrais dénoncer avec la dernière énergie d’autant que la décision du procureur militaire n’a aucune base juridique. C’est simplement une volonté de restreindre ma liberté et de m’empêcher de me soigner par méchanceté et par vengeance, avec pour finalité de saper mon moral et mon intégrité physique dans la perspective de la reprise du procès. Je ne suis pas en liberté conditionnelle pour que mes allées et venues soient sous le contrôle du parquet militaire mais en liberté provisoire. Je suis juste tenu d’être à l’audience de jugement le jour J. Je considère donc la décision injuste d’Alioun Zanré comme une menace pour ma vie.

Excellence Monsieur le Président du Faso,
Je ne vous demande pas de vous immiscer dans une affaire judiciaire mais de faire cesser une injustice et de faire respecter un droit constitutionnel car vous êtes le Président du Faso et du Conseil des ministres, donc patron du ministre de la Défense, qui est le chef hiérarchique du procureur Alioun Zanré. Le Burkina Faso a mal à sa justice par le fait de certains de ses responsables, à l’exemple du chef du parquet militaire. Il y a pourtant de nombreux magistrats intègres qui exercent leur métier avec professionnalisme et sens de l’honneur. Il faut arrêter les mains destructrices obstinées du Droit qui décrédibilisent radicalement l’institution judiciaire.

Excellence Monsieur le Président du Faso,
De tout ce qui précède, vu l’opportunité qui s’offre à moi de bénéficier de soins sous d’autres cieux, vu que la décision du parquet n’a aucune base légale, vu que je suis manifestement victime d’injustice et d’arbitraire, j’avais décidé de voyager pour mes soins.
Ma soumission au tribunal militaire pour répondre des faits qui me sont reprochés est acquise, mais je refuse de me soumettre à la dictature du commandant Zanré. «Tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas.» Malgré tout cela, le chef du parquet veut me faire arrêter hors Droit et m’envoyer à la MACA (Maison d’arrêt et de correction des armées, NDLR) puisque c’est son rêve depuis quelque temps. Toutefois, Excellence Monsieur le Président du Faso, je tiens à vous informer et à informer l’opinion nationale et internationale que si le parquet me fait arrêter, je ferai la grève du médicament jusqu’à ce que mon asthme me tue à petit feu, jusqu’à ce que mort s’ensuive. Je suis prêt au sacrifice suprême, au nom du respect du Droit et pour une justice à visage humain. Sans le courage et le sacrifice de certaines personnes, le monde n’aurait pas atteint ce niveau de liberté. L’histoire de l’humanité regorge de cas de personnes qui ont contribué à des avancées significatives en matière de droits de l’Homme. Je suis malade et j’exige le respect de mon droit constitutionnel: le droit à la santé tel que stipulé dans la Constitution burkinabè. Si le parquet pense que c’est du chantage, qu’il m’interpelle et décerne contre moi un mandat de dépôt simplement parce que je veux voyager pour me soigner, la suite se passera devant tout le monde et l’histoire retiendra que sous la présidence de Roch Marc Christian Kaboré, un journaliste est mort en prison par la volonté d’un parquet militaire qui lui a refusé le droit de se soigner.

Excellence Monsieur le Président du Faso,
Une injustice faite, ne fût-ce qu’à une seule personne, est une menace pour toute l’humanité. Il est de votre devoir de faire respecter les droits de tout citoyen. Quand le magistrat, qui doit veiller à la bonne application de la loi, commet un abus de droit et de pouvoir, il convient de le rappeler à l’ordre. Nul n’est au-dessus de la loi. Pourquoi le procureur ferait-il l’exception dans un État de droit ? Dans tous les cas, tout pouvoir vient de Dieu, et tout pouvoir à une fin. Le commandant Zanré se doit de le comprendre sans la moindre ambiguïté. Je vous prie de recevoir, Monsieur le Président du Faso, l’expression de ma très haute considération et de mes sentiments les plus respectueux.

Adama Ouédraogo Damiss
Directeur de publication du mensuel «Le Dossier»

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