Un combat intime mais dangereux. À lire sur FasoAmazone.net
À Ouagadougou, dans la région du Kadiogo, comme à Ziniaré, dans l’Oubritenga, de nombreuses femmes s’opposent silencieusement à l’autorité de leur mari pour accéder à la contraception. Dans un contexte marqué par le poids des traditions, les tabous persistants et la méconnaissance des droits reproductifs, elles bravent interdits et menaces pour préserver leur santé et éviter des grossesses rapprochées aux conséquences parfois dramatiques. Ces femmes, souvent contraintes d’agir dans l’ombre, incarnent une lutte quotidienne pour leur survie et celle de leurs enfants.
Bassinko, un quartier de Ouagadougou. Dans une pièce de sa maison, Sakina Kabré serre contre elle son dernier-né, les yeux embués. À 24 ans, son corps porte les traces de quatre grossesses en six ans, trois fausses couches et un accouchement qui a failli lui coûter la vie.« Quand il a découvert mes pilules dans ma valise, il m’a battue et m’a ordonné de les jeter », murmure-t-elle. « Après ça, je suis retombée enceinte… J’ai failli mourir au quatrième accouchement. »

SAKINA KABRE « confie que les grossesses rapprochées ont failli lui coûter la vie »
Les hémorragies, les douleurs chroniques, les hospitalisations à répétition n’ont pas suffi à infléchir son mari. Ce n’est qu’après l’intervention ferme du personnel de santé qu’il a accepté, à contrecœur, qu’elle utilise un implant contraceptif.
« La contraception est vitale, pour la mère, pour l’enfant et même pour le couple », souffle aujourd’hui Sakina, rescapée mais encore meurtrie.
Comme Sakina, des milliers de femmes burkinabè doivent négocier, supplier ou ruser pour accéder à la contraception.
Selon l’Enquête Démographique et de Santé (EDS-BF 2021), 46 % des femmes mariées doivent obtenir l’autorisation de leur mari avant d’utiliser une méthode contraceptive.
Un pouvoir de veto accompagné souvent de violences. Certaines sont battues ou menacées de divorce.

HUBERT TAPSOBA « L’utilisation des méthodes contraceptives favorise l’infidélité dans le foyer »
« Si je découvre qu’elle y a recours, ce sera la fin de notre mariage », tranche Hubert Tapsoba, vigile de 40 ans à Ziniaré, dans le plateau central. Selon lui, la planification familiale comporte des effets pervers, et il juge préférable qu’une femme en bonne santé ait plusieurs enfants plutôt que d’investir plus tard pour restaurer sa fertilité. Des propos qui illustrent le poids des préjugés qui enferment les femmes dans des maternités répétées, parfois au péril de leur vie.
Pour nombre d’hommes au Pays des hommes intègres, la contraception est perçue comme une menace à leur autorité ou une incitation à l’infidélité.
Pourtant, rappelle le Baloum Naaba de Tampouy, membre de l’Union nationale des religieux et coutumiers du Burkina : « Nos grands-parents espaçaient déjà les naissances. Autrefois, après un accouchement, une femme ne partageait pas la couche de son mari pendant deux ans. »
Une réalité ancestrale qui a disparu derrière des normes patriarcales plus récentes, qui valorisent la fertilité comme gage de statut social et de virilité masculine.
À Zitenga, localité de la province de l’Oubritenga, le vecu quotidien de Aïcha Compaoré (nom d’emprunt), une jeune femme de 20 ans, illustre les dilemmes auxquels font face de nombreuses jeunes mères en milieu rural. Mariée très tôt, elle a donné naissance à son premier enfant à l’âge de 19 ans. À l’occasion de la visite médicale des 40 jours, les agents de santé lui ont parlé de contraception et lui ont proposé plusieurs méthodes adaptées à son profil. Curieuse et séduite par l’idée d’espacer ses grossesses pour mieux s’occuper de son nouveau-né, Aïcha choisit la pilule, convaincue qu’elle pourra ainsi protéger sa santé et donner plus d’attention à son enfant.

AICHA COMPAORÉ (image d’illustration) confie qu’elle voulait espacer ses grossesses mais elle n’a pas eu le choix.
Mais à son retour au foyer, son enthousiasme se heurte au refus catégorique de son mari, qui invoque des raisons religieuses. Pour lui, la planification familiale est « contraire aux prescriptions divines ». Face à cette opposition ferme, et craignant les reproches de sa belle-famille, Aïcha se voit contrainte d’abandonner la contraception. Les pilules, qu’elle avait acceptées avec espoir, finissent à la poubelle.
« Je voulais espacer mes grossesses, mais je n’ai pas eu le choix », confie-t-elle, la voix hésitante. Son cas révèle la réalité de nombreuses femmes en milieu rural, où la décision d’adopter une méthode contraceptive ne revient pas à la femme, mais à son mari ou à l’ensemble de la famille. Les jeunes épouses comme elle, dépendantes économiquement et socialement, n’osent pas défier l’autorité conjugale, de peur de subir des violences ou d’être répudiées, confie-t-elle avec regret.
Dans les zones rurales, la contraception reste un tabou absolu. Une fille sur trois y devient mère avant 18 ans (INSD, 2023), souvent au prix de son avenir scolaire et de sa santé.
Au Burkina Faso, près d’une fille sur trois devient mère avant ses 18 ans, révèle l’Enquête Démographique et de Santé et à Indicateurs Multiples (EDS-MICS VI), 2021 de l’Institut National de la Statistique et de la Démographie (INSD) ; Ministère de la Santé ; Institut Supérieur des Sciences de la Population (ISSP) de l’Université Joseph Ki-Zerbo ; ICF International. Mettant en lumière l’ampleur des grossesses précoces non planifiées. Conséquences immédiates : déscolarisation, risques sanitaires élevés et précarité sociale, enfermant de nombreuses jeunes mères dans un cercle de vulnérabilité difficile à briser.
Les centres de santé sont éloignés, mal dotés, et les soignants manquent de formation pour parler sexualité aux adolescentes.
Pour Fatoumata Sawadogo, sage-femme et secrétaire à l’information et à la communication adjointe de l’Association des sages-femmes et maïeuticiens du Burkina : « Refuser à une femme ce droit, c’est l’exposer à des grossesses non désirées, à des risques sanitaires et à de profondes souffrances. »

Fatoumata SAWADOGO, sage-femme et secrétaire à l’information et à la communication adjointe à l’association des sage-femmes et maïeuticien du Burkina : « refuser à une femme ce droit, c’est l’exposer à des grossesses non désirées, à des risques sanitaires et à de profondes souffrances ».
Elle rappelle que la contraception réduit la mortalité maternelle et néonatale, évite les grossesses précoces et trop rapprochées, et protège contre certaines maladies.
Selon l’enquête Performance Monitoring for Action (PMA) Burkina Faso Phase 3 : Household and Female Survey (2021–2022), conduite par l’Institut Supérieur des Sciences de la Population (ISSP) en collaboration avec l’Université Joseph Ki-Zerbo, le Bill & Melinda Gates Institute et Jhpiego, PMA Burkina Faso 2022, les besoins non satisfaits en planification familiale sont passés de 32 % en 2014 à 16 % en 2022, preuve des efforts de sensibilisation.
Pourtant, malgré une baisse de mortalité enregistrée sur la période allant de 2010 à 2021 qui est passée de 341 décès maternels pour 100 000 naissances vivantes, le Burkina Faso enregistre un taux de mortalité toujours élevée. Selon l’Enquête Démographique et de Santé (2010) et le compte rendu du Conseil des ministres du 21 août 2024 (LeFaso.net), le taux de mortalité maternelle au Burkina Faso est passé de 341 décès pour 100. 000 naissances vivantes en 2010 à 154 en 2021.
Un droit bafoué
La loi n°049/2005 sur la santé de la reproduction garantit pourtant ce droit à tout individu, rappelle le juriste Jean-Benjamin Bado, coordonnateur de projet à l’Association Burkinabè pour le Bien-Être Familial (ABBEF).
« Aucune femme ne devrait avoir à recourir clandestinement à la contraception », martèle-t-il.

Pour le Juriste et Coordonnateur de projet à l’ABBEF, JEAN-BENJALIN BADO, « aucune femme ne devrait avoir à recourir clandestinement à la contraception ».
Mais dans la pratique, ce droit est quotidiennement bafoué. Le poids des normes patriarcales, la peur des violences et le silence social poussent les femmes vers des avortements non sécurisés, l’une des principales causes de décès évitables dans le pays.
Le PNAPF 2017-2020 du Ministère de la Santé identifie trois grands freins à la planification familiale au Burkina Faso : le refus ou la méfiance des hommes, nourris par un manque d’information et des perceptions culturelles ; les barrières socioculturelles et religieuses, incluant la pression familiale et le mariage précoce; et enfin les limites du système de santé, marquées par l’éloignement des services et la qualité variable de l’accueil. Le plan souligne que l’implication des hommes est essentielle pour lever ces obstacles et améliorer l’accès à la contraception.
Chaque 26 septembre, lors de la Journée mondiale de la contraception, les ONG redoublent de plaidoyers pour rappeler à l’État ses engagements et exiger un financement durable des programmes de planification familiale.
Quand le silence tue, informer devient un devoir
En tant que femme journaliste, lire, écouter et raconter ces histoires nous laisse toujours un mélange de désarroi et de détermination.
Désarroi, parce qu’en 2025 encore, des femmes doivent risquer leur vie pour exercer un droit élémentaire : celui de protéger leur santé et de décider librement du nombre d’enfants qu’elles désirent. Détermination, parce que notre rôle, en tant que porte- voix et témoin de ces réalités, est d’amplifier leurs témoignages pour que le silence cesse d’être une arme contre elles. Ce combat pour la planification familiale n’est pas un caprice de femmes modernes ni une menace contre la tradition.
C’est une question de survie.
Briser le tabou coûte cher : critiques, jugements, parfois menaces.
Mais se taire coûte encore plus cher. Car se taire, c’est accepter que Sakina, Awa ou tant d’autres continuent de souffrir dans l’ombre. Se taire, c’est enterrer encore des mères trop jeunes, trop fatiguées, trop meurtries. Comme Sakina, Awa et tant d’autres, des femmes burkinabè continuent de se battre pour un droit vital : celui de décider de leur corps, de leur avenir et de leur vie.
Wamini Micheline OUEDRAOGO
Et Souhaibata BARRY
Nb : des noms d’emprunt sont utilisés pour les survivantes
« Informer »: le défi du journaliste sur la contraception
À titre personnel, nous n’avons pas été souvent confrontées à des situations de stigmatisation en lien avec l’utilisation de la contraception ou les choix de planification familiale. Cependant, il nous ait déjà arrivé de faire face à des jugements implicites lorsque j’abordais ces sujets dans certains milieux. Le simple fait d’en parler ouvertement, en tant que femme et journaliste, a parfois été perçu comme une prise de position « contre les valeurs traditionnelles ». Ces réactions nous ont rappelé à quel point le poids des normes sociales et culturelles continuent d’influencer la manière dont ces questions sont reçues dans nos communautés.
Dans notre parcours journalistique, nous avons également rencontré des femmes qui ont été exposées directement à ces formes de pressions sociales ou culturelles. Leurs témoignages révèlent la complexité des choix individuels dans un contexte où la liberté reproductive reste souvent limitée par les regards des autres.
Cela ne diminue en rien la pertinence ou l’urgence de ces récits, bien au contraire. Notre rôle, en tant que journaliste, est de mettre en lumière ces réalités souvent passées sous silence, même si elles ne reflètent pas toujours notre expérience personnelle. Cette distance nous permet d’aborder le sujet avec objectivité et sensibilité, en me centrant sur la parole des personnes concernées.
En définitive, qu’il s’agisse d’une stigmatisation vécue directement ou observée à travers d’autres, elle met en évidence la nécessité de poursuivre le travail d’information et de sensibilisation. C’est par la parole, le dialogue et la diffusion de témoignages sincères que nous pouvons contribuer à briser les tabous et favoriser une société plus juste et plus respectueuse des choix de de chacun.
W.M.O
S. B
Ce reportage a été produit avec le soutien de African Women in Media (AWiM), dans le cadre du projet du Fonds de développement des femmes africaines (AWDF) sur le signalement des violences faites aux femmes et aux filles au Bénin, au Burkina Faso et au Togo.