Tahirou Barry, ex-ministre de la Culture : «Roch ? Il semble endormi profondément au milieu d’un feu de brousse»

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Dans les profondeurs de Pissy, quartier à la périphérie est de la ville de Ouagadougou, une seule demande de renseignement nous a suffi pour qu’on nous indique le siège du PAREN (Parti pour la renaissance nationale). C’est dire que dans ce patelin, la création de l’iconoclaste Pr Laurent Bado est aussi connue que le loup blanc, pardon, que la hyène noire, comme aurait dit un autre professeur, Joseph Ki-Zerbo.

Minivilla F3 logée dans une demi-parcelle, l’endroit n’en impose pas, la seule différence avec les cours voisines étant le panneau indicateur au portail. De jeunes gens nous reçoivent, qui s’empressent de nous offrir une place, rangeant par-ci par-là pots de fleurs, ordinateur et écouteurs. Nous avons même droit à l’eau de l’étranger, cette tradition africaine qui fout progressivement le camp. Celui avec qui nous avons rendez-vous, Tahirou Barry, n’est pas encore arrivé, empêtré qu’il est dans les embouteillages de la brouillonne Ouagadougou, nous informera un messager.

Une vingtaine de minutes après dix heures, nous entendons le ronronnement d’un véhicule qui annonce l’arrivée de cet ancien ministre de la Culture qui a démissionné avec fracas le jeudi 26 octobre 2017. En tenue de ville et visiblement décontracté, celui qui se rendait au bureau au volant de la voiture personnelle et qui a préféré rester chez lui à Tanghin plutôt que d’emménager dans les villas ministérielles à Ouaga 2000 a répondu sans détour à nos questions, pesant ses mots afin « qu’on ne dise pas encore qu’il parle mal ».

Et pourtant, au fil de l’entretien, beaucoup en prendront pour leur grade : de Roch Marc Christian Kaboré à Simon Compaoré en passant par Maurice Bonanet ; le PNDES également sera égratigné. Notre interlocuteur ne manque cependant pas de tresser quelques lauriers à certains de ses anciens collègues, à l’image de Rosine Coulibaly et de Clément Sawadogo.

Trêve de commentaires. Lisez plutôt !

Votre démission a créé la surprise. On imagine que ce n’est pas sur un simple coup de tête que vous avez pris cette décision. A quel moment vous vous êtes dit : « J’y vais » ?

Ma décision a été fermement prise à partir du 11 octobre 2017, à l’issue d’un Conseil des ministres. Vers la fin de ce jour-là, le ministre du Commerce, de l’Industrie et de l’Artisanat, dans les communications orales, a informé le gouvernement qu’une grande société, Winner Industrie, se préparait à déposer son bilan. Naturellement, il a demandé que le gouvernement réagisse. Le Premier ministre, après avoir analysé la situation des entreprises du Burkina Faso, en général, et de celles des Hauts-Bassins en particulier, a estimé que la question de la fraude est déterminante dans la survie des sociétés et qu’il fallait réagir. En plus, il a souhaité qu’un effort soit fait pour sauver cette entreprise et, du même coup, sauver des emplois dans notre pays. J’ai alors été ulcéré d’entendre Son Excellence Monsieur le Président du Faso dire que la maîtrise de la fraude ne saurait résoudre le problème de la compétitivité de nos entreprises. La question restait posée ! Face à un cas d’une telle gravité, face à une entreprise qui a été créée avant même ma naissance, en 1973, qui emploie 200 personnes, et sachant qu’un travailleur peut prendre en charge au moins dix personnes, qu’on se préparait à faire dans notre pays au moins 2 000 mendiants larmoyants, voilà que le capitaine du navire semblait clamer son impuissance. J’ai estimé que ce n’étaient pas des propos que le chef de l’Etat d’un pays comme le Burkina Faso, miné par le chômage, la crise économique et des difficultés de tous ordres, devait tenir. Et face à la réaction des membres du gouvernement, le Président du Faso a dû dire que nous allons réfléchir. La conclusion était donc évidente : il n’avait aucune solution à l’heure actuelle sur la situation des entreprises en crise. Alors que le Premier ministre, dans sa déclaration de politique générale en février 2016, à la page 46, a dit solennellement devant l’hémicycle que la question des entreprises en difficulté serait réglée. Et Winner Industrie était dans ces difficultés depuis cette période. A l’issue de ce Conseil des ministres, ma décision était prise : je ne vois pas l’intérêt de ma présence dans un navire qui ne sait pas où il va.

Etait-ce la seule raison ou est-ce la goutte d’eau qui a fait déborder le vase ?

Il y a plusieurs autres raisons, une succession d’événements, depuis ma prise de fonction jusqu’à la date de mon départ, qui ont motivé ma démission. Comme je l’ai dit dans ma déclaration, la réflexion avait été engagée plusieurs mois auparavant. Cela remonte précisément au 22 juin 2017, lorsque le Président du Faso avait reçu une délégation de la communauté musulmane pour une rupture commune du jeûne à la Présidence. A l’issue de la cérémonie, j’ai accosté le chef du gouvernement pour manifester mon souhait d’échanger avec lui sur la conduite des affaires de l’Etat, eu égard à un certain nombre de préoccupations. Il m’a demandé si j’avais des éléments d’inquiétude assez concrets. On était pratiquement à l’air libre et avec tous ces regards autour, je lui ai fait savoir que ma principale préoccupation était de discuter de toutes ces questions avec lui, eu égard à un certain nombre de dérives constatées. J’ai été surpris de l’entendre dire que les dérives décriées sont le fait de nos adversaires politiques et que cela ne saurait l’émouvoir. A partir de cet instant, la question récurrente qui habitait mon esprit était de savoir le choix à faire, entre le devoir de conscience et la lâcheté. Naturellement, mon choix était très clair.

N’avez-vous pas eu des hésitations ? Vous avez dû tout de même vous en ouvrir à un carré de fidèles et/ou à des membres de votre famille !

Lorsqu’à l’issue du Conseil des ministres j’ai décidé de démissionner, j’ai pris naturellement conseil auprès de ma famille et de quelques responsables du ministère qui me sont très proches ; j’ai laissé entrevoir quelques indices.

Il n’en demeure pas moins que pour certains, vous n’avez fait qu’anticiper votre départ, en prenant les devants pour éviter qu’on vous indique la porte de sortie. Ces derniers font référence à vos bisbilles avec le fondateur du parti, Laurent Bado. Que leur répondez-vous ?

Vous savez, dans toute société, il y a toujours des personnes qui regardent le doigt lorsqu’on leur montre la lune. Je voudrais juste faire trois observations. D’un, pensez-vous que le chef de l’Etat peut lier sa décision de limogeage ou de maintien d’un ministre à un récépissé ? C’est une question simple !

Vous avez tout de même été choisi sur la base de votre parti d’origine qu’est le PAREN !

Oui … Mais il n’empêche que si le pouvoir avait toujours besoin de moi, il lui suffirait de me réserver un autre poste ! Le Président a suffisamment de prérogatives pour le faire ! De deux, vous pensez que s’il n’a pas besoin de moi, c’est l’existence d’un récépissé qui va permettre de me maintenir au gouvernement ? Il est quand même le chef de l’Etat ! De trois, le professeur Laurent Bado, lui-même, lors de son intervention à la télévision nationale, lorsqu’on lui a demandé si pendant son prochain congrès il n’allait pas demander mon remplacement au gouvernement, a répondu qu’en tant que croyant, il ne le ferait pas. Je suppose également qu’en tant que croyant, il n’allait pas se dédire !

Donc étant dans le saint de saints, vous confirmez que votre éjection n’était pas à l’ordre du jour ?

Mon départ n’était pas lié à la question du PAREN. Et n’oubliez pas que la première flèche qui a été décochée à mon équipe et à moi-même date de depuis août 2016 ! Si je devais partir, c’est depuis ce moment. Puis il y a eu la deuxième flèche en août 2017. Pourquoi j’ai attendu aujourd’hui pour partir ? Certes, il y avait assez de manœuvres autour de moi, mais je me suis dit que je n’allais pas me laisser distraire. J’irais jusqu’au bout et jusqu’à ce qu’il y ait des raisons objectives de ne plus continuer la course.

Peut-être que vous avez pris tout ce temps pour préparer votre départ et l’orchestrer, une stratégie qui a visiblement réussi…

A moi de vous poser la question suivante : en prenant tout ce temps, pensez-vous que j’étais dans le secret des dieux pour connaître le timing des décideurs si leur volonté était de m’écarter du gouvernement ? Ça veut dire qu’en attendant, c’est comme si j’avais des garanties que l’autre n’allait pas agir ! Je ne suis pas devin pour le savoir !

Dans votre entourage ou au sein du gouvernement, n’y en a-t-il pas qui ont voulu vous faire changer d’avis et revenir sur votre décision ?

Lorsque j’ai remis ma décision au PM, naturellement, il s’en est dit surpris et m’a demandé de la retirer. Je lui ai simplement répondu que les raisons de ma démission étaient profondes et qu’il ne saurait la remettre en cause.

En partant, vous avez aussi dressé un véritable réquisitoire contre le gouvernement. Le bilan est-il aussi sombre que vous le pensez ?

Je pense d’ailleurs que j’ai été très tendre.

Ah bon ! Allons-y point pas point alors ! Commençons par le chômage. On ne peut pas dire que ce sont les programmes pour l’endiguer qui manquent !

Quels sont les principaux outils de lutte contre le chômage ? Nous avons le programme d’autonomisation des jeunes, qui a pour objet de créer plus de 90 000 emplois. Ce projet, qui devait être financé à raison de 16 milliards sur 3 ans, soit près de 5 milliards par an, a eu un financement de près de 1,3 milliard cette année. Vous avez vu qu’il y a plus de 90 000 dossiers jugés recevables qui ont été enregistrés. Quels sont les dossiers qui ont été financés et à quelle hauteur ? Le maximum obtenu par les postulants était de 300 000 francs. Vous pensez que c’est avec 300 000 francs que l’on peut créer une société dans ce pays sans un minimum d’accompagnement structurant ? Sans oublier que la question de la création d’une entreprise obéit à un encadrement et à un certain nombre d’études de faisabilité. Je demeure convaincu que cette option ne saurait donner les résultats escomptés.

Vous avez les start-up. On parle de création de 500 entreprises en cinq ans, avec une enveloppe financière de 10 milliards. C’est la même réalité qui va s’imposer parce qu’on ne peut pas concevoir la création d’une entreprise sans précisément l’accompagnement des accélérateurs de business ; ce qui n’existe pas pour le moment. En ce qui concerne les jeunes ruraux, figurez-vous qu’il y a trois quarts de la population burkinabè qui vit en milieu rural.

Dites-moi, qu’est-ce qui est fait pour accompagner ces jeunes ruraux ? J’ai eu la chance de voyager pendant mes fonctions dans presque toutes les communes rurales. J’ai été sidéré de voir de jeunes ruraux laissés à eux-mêmes, sans aucune perspective. Conséquence : c’est près d’un ou trois millions d’entre eux qui ont envahi les sites d’orpaillage au péril de leur vie.

Vous ne pensez pas qu’en 22 mois, il est trop tôt pour tirer le bilan de la lutte contre le chômage ?

Le plus important, ce n’est ni l’arc, ni la flèche, ni la cible, mais c’est la trajectoire. C’est Saint-Exupéry qui le dit. Il fallait qu’on sache à travers la direction du gouvernement l’objectif visé. Mais nous n’avons pas senti de mesures véritablement fortes pour résorber le chômage. Les chiffres en disent long : il y a près d’un million de jeunes qui ont accouru pour seulement 11 000 postes de la fonction publique. Pensez-vous que c’est par la fonction publique que l’on peut résoudre le problème d’emploi ? Qu’est-ce qui est fait pour le monde rural ? Si l’agriculture est laissée à elle-même, où voulez-vous que ces jeunes aillent ? Pour agir sur le chômage, il faut urgemment développer les filières professionnalisantes dans le système éducatif et booster les secteurs agricole et industriel à travers la transformation de nos produits spécifiques. Avec 800 000 tonnes de production de coton, je n’arrive pas à comprendre que ce soit seulement 5% qui sont transformés par des entreprises informelles. Or, c’est la transformation qui crée de la valeur ajoutée, qui créé des milliers d’emplois et la richesse. Ce n’est ni l’or ni les minuscules financements des jeunes qui résoudront le mal du chômage.

Que dites-vous de la lutte contre l’Insécurité ? C’est vrai qu’il n’y a pas de résultats, mais est-ce faute de volonté politique, quand on sait que cette guerre est asymétrique ?

A ce sujet, je le dis et le répète : on a une armée désespérée et désarmée face à des terroristes qui sont sans pitié. Comment comprendre que, depuis janvier 2016, où la capitale a connu son premier attentat, des précautions élémentaires n’aient pas été prises pour acquérir des boucliers balistiques qui ont fait, par exemple, défaut pendant l’attaque du café Aziz Istanbul ? Comme je ne souhaite pas m’étaler davantage sur cette question sensible, je préfère m’arrêter là.

Que reprochez-vous au PNDES, un programme que vous flinguez littéralement ?

Je n’ai jamais remis en cause la vision du PNDES ; j’ai seulement fait remarquer qu’il est en danger de mort parce qu’il repose sur des sables mouvants.

En effet, l’enveloppe globale de ce Plan s’élève à plus de 15 000 milliards de nos francs, dont près de 10 000 milliards financés sur ressources propres qui seront remis en cause simplement parce que 92% des recettes de l’Etat sont absorbées déjà par les dépenses courantes. Comment le financement va-t-il s’opérer ?

Quant aux partenaires, ils ont fait des annonces de plus de 8 000 milliards pendant qu’on attendait quelque 330 milliards comme appui budgétaire. Et ce n’est finalement que moins de 100 milliards qui ont été annoncés. Conséquence : tous les projets d’investissement dans la plupart des ministères ont subi des modifications substantielles. Cette donne va impacter négativement les prévisions du PNDES. Pendant que nous avons un devoir de financement de 63%, on a un ratio de la masse salariale sur recettes fiscales de 45%, contrairement à la norme de convergence de 35%. Et c’est loin d’être fini, vu les revendications sociales qui s’intensifient.

Les investisseurs privés ne viennent pas en père Noël avec des valises remplies de cadeaux. Leur ambition ultime est de maximiser leurs intérêts en relation avec les intérêts de leurs banques. Alors pourquoi comptabiliser ces annonces dans les 18 mille milliards alors qu’on n’a aucune idée des conditions d’investissement ? Cela relève d’une légèreté qui accentuera davantage la désillusion et la colère du peuple. Quant aux promesses des partenaires techniques et financiers, comment se déclinent-elles en matière de dons, de dettes et surtout d’intérêts ? Quelles sont les conditions préalables de déblocage pour surmonter le taux réduit d’absorption de 26% actuel ? Notre niveau d’endettement est-il supportable ? Faut-il accepter, comme s’interrogeait Thomas Sankara à un Sommet de l’OUA, des montages financiers alléchants qui compromettent notre avenir pour 50 ans et plus ?

Selon vous, l’on devrait donc revoir nos ambitions à la baisse ?

Je ne sais pas quel mot utiliser pour qualifier le PNDES sans qu’on dise que j’insulte. Disons tout simplement qu’il a piqué une grave maladie, parce que la conduite improvisée des affaires de l’Etat a imposé des décisions qui ont faussé tous les indicateurs possibles. Pour les milliards sous forme de partenariats public/privé, les privés ne sont pas des acteurs de bienfaisance au regard des conditions inacceptables qui nous seront imposées. Et que dire de l’immaturité des projets ainsi que du faible taux d’absorption ? Avec de telles contraintes, ce référentiel ne sortira pas notre pays de l’ornière.

C’est dire que le ver est déjà dans le fruit. Que faut-il, selon vous, faire pour l’en extirper ?

Il faut d’abord dire la vérité au peuple et appeler à un sacrifice et une mobilisation générale de tout le peuple autour des valeurs et des défis de la Nation pour sauver le navire Burkina. Cela s’est déjà passé sous la Révolution. En outre, il faut engager un dialogue social sincère et constructif. Depuis la mise en place du gouvernement, on totalise plus de 80 mouvements sociaux dans les différents ministères avec près de 300 jours sans travail. Il faut vite trouver une solution à cette situation.

Dans votre déclaration, vous aussi avez parlé d’une trahison des valeurs de l’insurrection. De quelles valeurs parlez-vous ?

Les insurgés ont rêvé d’une société de justice, de démocratie, de bien-être et de bonne gouvernance. Sur cette dernière question, je peux vous dire que j’ai été à plusieurs reprises interpellé par les premiers responsables du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP – parti au pouvoir) sur la nomination de certains cadres de mon ministère simplement pour des raisons partisanes. Où se trouve la neutralité de l’Administration ? Avons-nous rejeté oui ou non la politisation de l’Administration ? Le parti au pouvoir signifie-t-il le pouvoir du parti dans l’appareil d’Etat ?

Vous avez tout de même passé près de deux ans au gouvernement. N’est-ce pas manquer d’élégance que de cracher dans la soupe que vous-même avez eu à boire pendant longtemps ?

Si j’en étais parti au début, on m’aurait dit que ce n’est pas en quelques jours qu’on peut changer les choses. Mon départ intervient après 22 mois, et on me reproche de cracher dans la soupe. Dans tous les cas, je ne pouvais pas fustiger publiquement et chaque matin le gouvernement en y restant. Cela relèverait de l’irresponsabilité. En Afrique on dit que quand un homme n’est pas d’accord, il dit non. C’est ce que j’ai fait et j’assume. On peut épiloguer sur l’opportunité, mais il y a un temps pour toute chose.

Vous en êtes-vous ouvert au chef de l’Etat ?

Le 13 septembre dernier, j’ai demandé en urgence à lui parler. Jusqu’au moment où je vous parle, je n’ai pas eu de réaction.

Selon vous, est-ce lui le problème ou son entourage ?

C’est lui le capitaine du bateau et, comme on le dit, le poisson pourrit par la tête.

Vous êtes on ne peut plus violent à l’endroit du commandant de bord et d’autres occupants de la cabine de pilotage, traitant même certains de vieux cow-boys désespérés. De qui parlez-vous précisément ?

J’ai parlé d’un capitaine qui n’agit pas mais réagit.

Quelle est la nuance ?

Voici un chef qui attend qu’il y ait un mouvement de grève avant de réagir pour faire droit aux revendications. Au début de son mandat, on s’attendait à des assises sur la situation de l’administration publique pour poser froidement et sereinement les problèmes en vue d’y trouver des réponses objectives, en tenant compte des spécificités de chaque entité. En lieu et place, il a décidé de mettre en œuvre la plateforme revendicative des magistrats sans y associer le ministre de la Justice ni consulter le gouvernement. On a été mis devant le fait accompli. Il y a eu de vifs échanges en Conseil par la suite au cours desquels plusieurs ministres ont exprimé leurs inquiétudes. Je me rappelle personnellement avoir dit en Conseil des ministres que chaque fois que la satisfaction d’une revendication interviendra après une grève, on érigera désormais les grèves en règle au lieu d’en faire l’exception. La suite m’a donné raison : plus de 80 mouvements de grève et près de 300 jours d’arrêt de travail à cause de l’acte qu’il a posé et qui a envoyé un mauvais signal aux autres syndicats. C’est ça, la réaction de vieux cow-boys désespérés. Le nom « cow-boy » est un mot anglais qui signifie « éleveur », à la seule différence que l’éleveur en question a évolué dans l’Ouest américain pour devenir une légende et incarner des valeurs américaines comme l’audace, le sens de l’honneur et la dextérité. Mais quand on a affaire à un vieux « cow-boy » désespéré, il agit dans la précipitation sans calcul. Le « cow-boy » désespéré pose des actes sans calcul et souvent sans la moindre précaution. Ce n’est qu’une image que j’ai utilisée pour présenter la situation.

A vous écoutez, vous deviez être le plus turbulent du gouvernement. On peut imaginer l’ambiance de travail …

Au début de ma fonction et avec toute ma naïveté, je faisais des propositions en Conseil des ministres. Au fur et à mesure, ces propositions étaient pratiquement ignorées. J’ai fini par ne plus ouvrir la bouche. Mes collègues peuvent témoigner de mon silence ces derniers mois pendant le Conseil des ministres. J’étais fortement animé par la déception, une véritable déchirure dans la conscience.

En parlant de naïveté, la dureté de votre analyse n’est-elle pas due à votre manque d’expérience gouvernementale, au fait que vous pensez, par exemple, que des problèmes aussi complexes peuvent être réglés d’un simple claquement de doigts ?

On sortait de 27 années de gestion du pouvoir d’Etat par un seul individu. A l’issue de cette période, on ne peut prendre les commandes du navire sans poser dès les premiers instants des actes forts pour marquer la rupture. Qu’est-ce qui a été fait depuis les premiers moments pour marquer cette rupture ? J’ai demandé au début qu’on aille dans le sens de l’Assemblée nationale qui a consenti une réduction de ses honoraires. J’ai fait cette proposition, non pas en raison de la valeur financière que la réduction de salaire peut apporter, mais simplement en raison de sa valeur symbolique. J’ai également dit qu’il fallait demander aux ministres et à un certain nombre de hauts responsables de voyager en classe économique et non en classe affaires. La différence en matière de coût est énorme. Ces actes auraient marqué véritablement une volonté de rupture. Hélas, ma proposition a suscité un tollé pendant le Conseil des ministres. Je me suis alors rendu compte que ce régime n’avait pas encore pris la mesure des fortes attentes du peuple.

Il se dit qu’au sein du gouvernement, vos relations avec certains de vos collègues n’étaient pas des plus cordiales. Pouvez-vous nous dire en une phrase ce que vous pensez de ces personnalités que nous allons citer ?

  • Roch Marc Christian Kaboré :

C’est une personnalité aux grandes qualités humaines, mais qui semble profondément endormie au milieu d’un feu de brousse.

– Paul Kaba Thiéba :

C’est un grand technocrate, intelligent, mais il est handicapé par des difficultés de management et sa méconnaissance des hommes.

  • Simon Compaoré

C’est une personne qui a beaucoup d’énergie, qui malheureusement est mal exploitée, et dont la personnalité s’accommode mal de sa fonction.

  • Siméon Sawadogo

C’est un monsieur que je ne connais pas assez, mais qui, au regard des derniers actes qu’il pose, semble être si dévoué que son attitude frise même l’aveuglement.

  • Maurice Dieudonné Bonanet

C’est un grand frère très sympa que je respecte, mais qui s’est gravement rendu complice de l’opération de déstabilisation de mon parti.

Ah bon, que lui reprochez-vous exactement ?

Il était au cœur d’une vaste opération de déstabilisation de mon parti depuis plus d’un an. J’ai les faits, les lieux, les chiffres et les preuves. Le ministre ne les niera pas s’il est sincère. Pour l’heure, je préfère garder le silence et observer mais j’ai la conviction que le jugement de l’histoire rendra tôt ou tard justice.

  • Rosine Coulibaly et Clément Sawadogo, que vous avez remerciés infiniment. Qu’ont-ils bien pu faire pour vous ?

Ils n’ont rien fait. Seulement, j’admire les qualités qui les animent. Prenons le cas de Madame Rosine Coulibaly, qui est une grande dame qui dit ce qu’elle pense et qui s’assume. Je crois que c’est une grande valeur de notre Nation qui est pour le moment royalement ignorée. Le ministre Clément Sawadogo est un monsieur très intelligent, sage et qui a de grandes qualités managériales. J’ai eu à travailler avec lui dans le cadre de la négociation pour trouver un dénouement à la crise de l’hôtel Silmandé. Nous avons régulièrement mené des discussions avec tous les grands leaders syndicaux et j’ai pu voir comment il a effectué ce travail qui n’était pas aisé. Ce que j’ai appris avec ces deux personnalités, j’avoue que je ne l’apprendrai dans aucune université au monde.

Revenons au PAREN. On vous accuse d’avoir fait un coup d’Etat en rusant avec les textes, notamment lors d’un congrès à Bobo. Votre version de l’affaire ?

Vous m’avez vu avec des armes (Rires) ? La question du congrès de Bobo-Dioulasso a une histoire. Nous en sommes sortis totalement décimés après le refus du professeur Laurent Bado d’être candidat à l’élection présidentielle de 2010. Il y a eu une saignée de nos responsables et militants. La conséquence : élections 2012, zéro député. Fallait-il aller avec ce handicap au scrutin de 2015 ? Nous avons dit non à l’issue d’une rencontre de rentrée politique. Ensuite, nous avons décidé de faire un congrès extraordinaire pour remobiliser les militants afin de mettre le parti en ordre de bataille. Si c’était un coup d’Etat, l’ensemble des responsables du parti, membres de bureau, responsables régionaux, provinciaux, de jeunes, de femmes y compris le professeur Laurent Bado ne se seraient pas retrouvés à Bobo. Les discussions ont été menées dans les commissions de façon libre pour être ensuite portées à la connaissance de l’opinion. Le récépissé qui nous a été délivré en avril 2014, jusqu’au moment où je vous parle, n’a jamais fait l’objet de contestation. Donc où se trouve le coup d’Etat ? Sans oublier que le congrès a été régulièrement convoqué dans les délais et par les personnes habilitées à le faire.

Il était question d’une nouvelle réconciliation. Que s’est-il passé entre-temps ?

Il n’y a jamais eu de problème entre le professeur et moi. Ce sont des manœuvres qui sont orchestrées dans certaines officines politiques. Récemment, le 24 octobre, je suis allé lui rendre visite et nous avons échangé. Il s’en est même ouvert à moi sur le forum de la sécurité.

Il n’était pas aussi dur que lors de ses sorties à la télévision ?

Nous étions dans une dynamique d’apaisement. C’est d’ailleurs pourquoi je suis surpris quand certains me disent que mon poste était en danger, car ce n’est pas ce qui était envisagé par le professeur.

Il semble que dans le cadre du grand projet de création d’un parti de gauche, par le défunt Salifou Diallo, le PAREN a été approché. Ces rumeurs sont-elles fondées ?

J’ai eu récemment la confirmation que le PAREN avait été approché par le canal habituel. Mais je n’ai jamais été touché sur la question.

Le canal habituel, c’est lequel ?

Il s’agit du même canal qui a été utilisé pour conclure l’alliance.

Si certains apprécient positivement votre passage au ministère de la Culture, d’aucuns estiment que vous avez passé plus de temps à faire de la communication dans les médias classiques et sur les réseaux sociaux. Qu’en dites-vous ?

On ne peut pas vouloir une chose et son contraire. Pouvons-nous parler de valorisation et de promotion du patrimoine culturel et artistique sans communication ? Non. Il y a eu des actions structurantes qui ont été opérées. C’est le cas de la réforme de la SNC (Semaine nationale de la culture), de la question de l’étude sur le développement stratégique du FESPACO. J’en veux encore pour preuve l’opérationnalisation du plan de développement culturel et touristique pour accompagner techniquement et financièrement les différents projets. En outre, il y a le développement de l’entrepreneuriat culturel à travers toutes les formations qui ont été effectuées, sans oublier le recensement des différents sites touristiques, l’inventaire du patrimoine culturel immatériel, la déconcentration et la décentralisation culturelles.

Beaucoup disent que vous vous êtes entouré d’un groupe de communicants qui faisaient surtout vos éloges …

Prenons l’exemple des Trésors du Faso dont l’objectif est de révéler ce qui est caché dans les communes les plus reculées du Burkina Faso. Vous vouliez que les rencontres avec les acteurs se fassent dans l’obscurité ou quoi ? Je ne comprends pas cette analyse. Peut-on séparer l’arbre de l’écorce sans le dénaturer ? La communication, la culture et le tourisme sont intimement liés et même regroupés dans certains gouvernements.

De même, ils n’hésitent pas à dire que vos différentes tournées à l’intérieur du pays étaient une sorte de préparation des élections de 2020 …

Si c’est ce poste qui devait me permettre de préparer l’élection de 2020, ceux qui le disent pouvaient me proposer un autre parce que je ne peux pas concevoir des actions au ministère de la Culture et des Arts sans opération de communication et de promotion. Ce n’est pas ma personne qui importe, l’enjeu est le devenir de notre patrimoine culturel.

Revenons aux récentes bisbilles entre vous et votre mentor. Est-ce vrai que l’on s’apprêtait à délivrer le précieux récépissé à Bado ?

C’est vous qui m’informez de cela. Je n’ai jamais eu d’information sur la situation du récépissé. Tout ce que nous avons eu comme données, c’est un courrier du ministère de l’Administration territoriale qui nous informait que la question de la délivrance du récépissé serait analysée conformément à la réglementation en vigueur et conformément aux statuts et règlement intérieur du PAREN, ce qui nous enchante parce que c’est ce que nous avons toujours demandé. Mais pour l’heure, contrairement à ce que nous entendons à gauche et à droite, la question n’est ni tranchée, ni au niveau du juge administratif.

Malgré tout, si on refilait le récépissé au professeur Bado, que feriez-vous ? Comptez-vous créer votre parti ou reprendre, comme ça se susurre, votre mandat de député occupé par votre suppléante ?

Pour ne pas faire de la fiction juridique, nous allons attendre que cette question soit tranchée. Ensuite, nous allons apprécier avec les éléments en notre possession.

Maintenant que vous avez quitté vos fonctions, qu’allez-vous faire ? Il faut bien faire bouillir la marmite !

Si la marmite doit bouillir sur le feu de la fonction ministérielle, alors ma marmite va se refroidir, parce que ma vision a toujours été constante. La fonction publique ne doit pas être commise au service personnel, mais au service de l’intérêt général. En plus, je suis un agent public engagé depuis 2001. J’ai acquis une expérience en matière de gestion des ressources humaines et je saurai vivre dignement de mes activités professionnelles et surtout servir ma nation à la place où je serai.

La télévision nationale avait annoncé une émission dont vous seriez l’invité. Elle n’a finalement pas eu lieu. Que s’est-il passé ?

J’avoue que je n’en connais pas les raisons officielles. Mais si la volonté était de me faire taire, j’avoue que c’est une véritable forfaiture. Ceux qui ont pris cette initiative n’ont pas rendu service à notre démocratie.

Pour une personne très surbookée il n’y a pas longtemps, comment meublez-vous aujourd’hui votre temps ? 

Je savoure allègrement ces instants de liberté dans l’immensité du temps qui s’offre à moi avec ma famille. Je vis actuellement des moments de bonheur avec ma famille qui a beaucoup souffert de mes longues absences répétées, même les jours fériés et les dimanches.

Akodia Ezékiel Ada

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