Désir d’avoir un enfant : Dans l’univers du marché noir du sperme

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 l’univers du marché noir du sperme sur internet,  est une série d’ enquêtes réalisées par France 24,  en ce qui concerne le désir d’avoir un enfant, ou  la procréation par insémination. Lisez en  plutôt. 

« Louis », 22 ans, originaire de Lille, se présente comme un joueur de tennis doué et affiche un sourire Colgate. « Ben », un Parisien de 34 ans bien bâti, aime courir pour se maintenir en forme, mais apprécie également la littérature et les arts. « Donneur27 », 45 ans, un ingénieur aéronautique vivant en Normandie, se glorifie, lui, d’un excellent pédigrée génétique et d’un réel désir d’aider son prochain.

Ce florilège de profils donne un aperçu des quelque 800 donneurs de sperme inscrits sur le site Internet de Donneur Naturel, créé pour aider les femmes célibataires et homosexuelles dans leur projet d’enfants en leur proposant des géniteurs. Une démarche qui, en France, permet de contourner l’actuelle loi de bioéthique sur la procréation médicalement assistée (PMA), réservée, pour l’heure, uniquement aux couples hétérosexuels. Résultat : une douzaine de plateformes de ce type fleurissent actuellement sous forme de sites Web, de groupes Facebook ou encore d’applications pour smartphones, laissant libre cours à un marché clandestin du sperme.

L’Association des Parents et futurs Parents Gays et Lesbiens (APGL) confirme l’existence d’un marché noir sur Internet. Son porte-parole, Nicolas Faget, estime qu’environ 5 % des adhérentes ont fait appel à des donneurs de sperme en ligne.

Nicolas Faget, porte-parole de l’Association des Parents et futurs Parents Gays et Lesbiens (APGL), confirme l’existence d’un marché noir sur Internet.
« Les femmes ne peuvent pas savoir
si les donneurs sont porteurs de MST »
Nicolas Faget

« C’est un réel problème », assure Nicolas Faget qui pointe du doigt les risques sanitaires concernant l’utilisation de spermatozoïdes non contrôlés. « Avec ces donneurs choisis en ligne, les femmes ne sont pas en mesure de savoir s’ils sont porteurs de maladies sexuellement transmissibles (MST) », explique-t-il.

Depuis les années 1970, les dons de sperme utilisés pour des traitements d’insémination ou de fécondation in vitro sont soumis à un cadre légal, incluant des tests sérologiques (HIV, hépatite B et C, etc.). « Les centres de conservation du sperme (Cecos) offrent un cadre sécurisé à l’utilisation des paillettes de sperme et évitent à des couples d’être inséminés par du sperme non contrôlé », confirme le docteur Céline Chalas, praticienne au centre de l’hôpital Cochin à Paris. Or, les dons sur Internet, auxquels ont recours de nombreuses femmes seules ou homosexuelles, échappent à ce cadre sécurisé et rassurant.

La grande majorité des donneurs en ligne affirment être en bonne santé, avec des tests sanguins actualisés à l’appui, mais les femmes en quête d’un don n’ont aucune garantie que les documents présentés soient authentiques. Même s’ils le sont, certaines maladies sexuellement transmissibles, comme le VIH, peuvent prendre plusieurs semaines avant d’être détectées. Cela signifie que si le donneur a été infecté quelques jours ou semaines avant de livrer sa semence, il peut également transmettre la MST.

Si certaines femmes sont prêtes à prendre ces risques, c’est avant tout parce qu’elles n’ont pas les moyens financiers de se rendre dans les pays qui autorisent les inséminations médicalement assistées. « Un traitement en Belgique ou en Espagne peut facilement coûter 10 000 euros, voire plus », précise Nicolas Faget, qui dénonce « une discrimination par l’argent ». « Il est clair que la plupart des femmes choisiraient l’option la plus sécurisée si seulement elles pouvaient se le permettre », poursuit-il.

Mais le risque est aussi judiciaire, puisque la loi prévoit une peine allant jusqu’à deux ans de prison et 30 000 euros d’amende pour ceux qui ont recours à « l’insémination artificielle par sperme frais provenant d’un don », au titre de l’article L1244-3 du code de la Santé Publique.

Les motivations des candidats sont variées, selon le modérateur d’un groupe Facebook.
« 30, 500 ou même 1 000 euros pour un don »
Nicolas Faget

Sur le groupe Facebook « Donneur de sperme », qui met en relation des femmes seules ou en couple avec des donneurs de sperme, une dizaine d’annonces sont publiées chaque semaine. Un des modérateurs de la page, qui a préféré garder l’anonymat, a constaté ces derniers temps une hausse des demandes, ainsi qu’une augmentation du nombre de donneurs.

Les motivations des potentiels candidats sont variées, décrypte le créateur du groupe qui compte 1 100 membres. Il y a « ceux qui veulent vraiment aider », ceux qui cherchent à « avoir des relations sexuelles avec des femmes » en profitant de la période d’ovulation « pour leur mettre la pression ». Puis, il y a ceux qui sont motivés « par l’argent ».

« Certains demandent à être payés 30, 500 ou même 1 000 euros pour leur don », précise le modérateur, qui a lui-même déjà effectué des dizaines de dons. « Il y a aussi des Africains qui font croire aux femmes qu’ils vont venir en France et qui leur demandent de leur payer le billet aller », ajoute-t-il.

« Ta compagne peut assister à l’acte », propose un donneur de sperme.
« Le rapport sexuel pour optimiser
les chances de tomber enceinte »
Bebe aide

La plupart des femmes ont recours à l’insémination artisanale (IA) en récoltant la semence livrée dans un petit récipient pour se l’injecter dans le vagin avec l’aide d’une seringue ou d’une pipette. Mais deux autres méthodes existent : celle dite semi-naturelle, qui implique une pénétration au moment de l’éjaculation, tandis que si un rapport sexuel a lieu, on parle d’insémination naturelle (IN).

Actuellement, l’insémination naturelle semble particulièrement plébiscitée par certains donneurs, qui aspirent à plus qu’un simple don et avancent des propositions malhonnêtes. Dans le cadre de l’enquête, une journaliste de France 24 s’est inscrite sur l’une de ces applications, et a pu constater qu’en 48 heures, son profil avait généré plus de 50 « j’aime » et qu’elle avait reçu des dizaines d’invitations pour échanger avec des donneurs potentiels. Au cours des discussions, la majorité d’entre eux a suggéré une insémination naturelle, à l’image de « Joe », 28 ans, qui la juge « plus efficace ». « Je donnerai uniquement naturellement car je pense que c’est comme cela que ça doit être fait », écrit-il.

« Jack », âgé de 35 ans, est, lui aussi, uniquement disposé à des IN. Avant de préciser : « Sur une période de sept à neuf jours consécutifs pour s’assurer que vous tombiez bien enceinte ». Son argument : « Le contact physique et chimique est nécessaire pour une fécondation réussie ». Il va même plus loin : en se disant « très intéressé à aider des couples de lesbiennes à les faire tomber enceintes en même temps ». Alerté sur ces donneurs mal intentionnés, le modérateur du site assure faire régulièrement du nettoyage sur son groupe et en exclure au moins dix par mois.

Également en contact avec la journaliste de France 24, « Bebaide », 42 ans, qui affirme avoir fécondé au moins cinq femmes en région parisienne, a dans un premier temps accepté le principe d’une insémination artisanale, avant de laisser planer le doute. « Ce n’est pas toujours efficace », argue-t-il avant de suggérer « l’insémination artisanale ou semi-naturelle ou les deux » pour « maximiser les chances » de tomber enceinte. « Ta compagne peut assister à l’acte », avance-t-il également.

La réussite d’une grossesse est-elle réellement liée à la méthode utilisée ? Selon la banque du sperme, le taux de grossesse à la suite d’un rapport sexuel est de l’ordre de 25 %, contre 21 % par insémination intra-utérine dans un Cecos. En revanche, les auto-inséminations artisanales affichent un taux de grossesse de l’ordre de 10 %.

Aujourd’hui, le donneur peut s’enregistrer en tant que père biologique, avant même la naissance de l’enfant. © iStock
« Un enfer sur terre »
Nathalie

Pour les femmes qui arrivent à donner naissance par une insémination « maison », il peut aussi leur arriver de se heurter à des obstacles juridiques. Une fois devenues mères, elles courent le risque de voir à tout instant le géniteur revendiquer une place dans la vie de l’enfant.

Car se pose le problème de la filiation, en particulier pour la femme qui n’a pas porté l’enfant. Pour figurer comme le deuxième parent dans le livret de famille, elle doit effectuer une série de longues démarches administratives, à savoir le mariage et la procédure d’adoption – généralement longue. De son côté, le donneur a la liberté de s’enregistrer en tant que père biologique, avant même la naissance de l’enfant.

C’est ce qui est arrivé à Nathalie*, 42 ans. Cette mère de deux enfants nés d’inséminations artisanales a vécu un « enfer sur terre » lorsque le donneur de son fils aîné a soudainement annoncé qu’il allait faire valoir ses droits en tant que père du bébé.

« À l’origine, on ne voulait pas faire appel à un donneur anonyme, on voulait pouvoir mettre un visage dessus », se souvient Nathalie. Sa compagne et elle ont donc sollicité l’aide d’un ami (homosexuel) âgé d’une quarantaine d’années. « Il n’avait jamais manifesté de désir d’enfant et on s’était mis d’accord sur le fait qu’il ne serait pas un deuxième parent, détaille-t-elle. Il a accepté tout de suite, il nous a même dit qu’il était heureux de nous aider ». Pourtant, au sixième mois de grossesse, le géniteur les a contactées pour leur dire : « Je suis désolé les filles, mais j’ai changé d’avis et je vais reconnaître l’enfant ».

« Il est allé voir un avocat. Du coup, on a fait pareil »
Nathalie

L’annonce a été un choc terrible pour le couple, qui a dû faire face à une reconnaissance anticipée du donneur avant même la naissance du bébé. « Il est allé voir un avocat. Du coup, on a fait pareil », raconte Nathalie, qui regrette que son amie ait dû accoucher dans ces conditions. « Cela a été vraiment dur ».

Durant quatre années s’est engagée une bataille juridique qui a permis à Nathalie d’obtenir l’autorité parentale conjointe. Le père biologique bénéficie aussi d’un droit de garde, un week-end par mois.

Aujourd’hui, Nathalie regrette son « immense naïveté » concernant les véritables intentions du donneur. « Il a attendu les six mois de grossesse de façon à ce que nous ne puissions plus reculer, il a avancé masqué », considère-t-elle avec le recul.

Ces tensions ont énormément pesé sur le couple, qui a fini par se séparer. « Durant quatre années, nous étions focalisées dessus. Cela a fini par nous éloigner », reconnaît-elle. « Aujourd’hui, j’aurais fait les choses différemment. »

*Le prénom a été changé

Source France 24

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