Bolloré prêt à vendre ses activités logistiques en Afrique

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Selon les informations du « Monde », la banque Morgan Stanley a commencé à sonder des acheteurs pour Bolloré Africa Logistics, branche historique et longtemps la « vache à lait » de l’homme d’affaires.

De quoi provoquer un séisme sur le continent africain si cette opération va à son terme. Selon des sources concordantes, le groupe Bolloré étudie la vente de ses activités logistiques en Afrique, l’un de ses métiers historiques, fruit des premières acquisitions de Vincent Bolloré il y a plus de trente ans.

Un pôle qui fut longtemps la « vache à lait » de l’homme d’affaires, l’aidant à financer ses raids et autres conquêtes.

« Si l’adieu africain se concrétise, que fera Bolloré des milliards récupérés qui viendront s’ajouter à ceux issus de la vente d’Universal Music Group ? »

La banque d’affaires Morgan Stanley a été chargée de sonder discrètement l’intérêt des acquéreurs potentiels, notamment les grands noms du transport maritime. Le français CMA CGM examine le dossier, ainsi que le danois Maersk. L’exploitant portuaire Dubai Ports World et le chinois Cosco Shipping, gestionnaire du port grec du Pirée, pourraient également se mettre sur les rangs. Si les grands fonds de capital-investissement comme Ardian ou KKR regorgent de capitaux, la plupart d’entre eux sont limités, de par leur statut, dans leur capacité à investir dans les pays émergents. Interrogé, le groupe n’a pas souhaité faire de commentaire.

En Afrique, où il emploie 20 800 collaborateurs, « Bolloré est présent dans 42 ports en qualité d’opérateur de terminaux portuaires, d’agent de lignes maritimes ou encore de manutentionnaire de marchandises non conteneurisées. Il gère principalement 16 terminaux à conteneurs en Afrique centrale et de l’Ouest, 7 terminaux roll-on/roll-off [“roule pour entrer”, “roule pour sortir”], 3 concessions ferroviaires, des entrepôts, des ports secs… », précise, dans son rapport annuel, le groupe breton, dirigé par Cyrille Bolloré, le plus jeune des fils du patriarche.

La branche Bolloré Africa Logistics, qui a généré en 2020 un chiffre d’affaires de 2,1 milliards d’euros, serait valorisée entre 2 milliards et 3 milliards d’euros.

Pour autant, le périmètre susceptible d’être cédé ne paraît pas figé. Au-delà de ses positions de leader incontournable en Afrique, le groupe gère une activité logistique et transport qui se revendique parmi les cinq premiers acteurs européens, avec un chiffre d’affaires de 3,7 milliards d’euros et 12 500 collaborateurs. Il n’est pas exclu que certains acquéreurs lorgnent également ces métiers complémentaires.

Vincent Bolloré n’est pas du genre à refuser une très belle offre, même si cela laisserait essentiellement dans le groupe qui porte son nom la communication, autrement dit Vivendi, le stockage d’électricité et des participations financières. Inversement, font remarquer les habitués, rien ne dit que la transaction ira à son terme. Par le passé, l’homme d’affaires a déjà proposé à la vente de grands actifs, avant de renoncer.

Cette réflexion sur l’avenir de Bolloré en Afrique intervient, en tout cas, après un rebondissement judiciaire majeur.

En février 2021, Vincent Bolloré a reconnu sa culpabilité pour des faits de corruption active d’agent public étranger et complicité d’abus de confiance en Afrique. Le groupe Bolloré était soupçonné d’avoir pris à sa charge des prestations d’Havas, filiale de Vivendi, dispensées à l’occasion de campagnes électorales des présidents togolais et guinéen, en échanges d’avantages concernant les ports de Lomé et de Conakry.

La justice française avait commencé à enquêter sur cette affaire en 2012, à la suite d’un signalement de Tracfin, le service de renseignement qui traque la fraude ou le blanchiment.

Fin 2019, le logisticien français a essuyé un lourd revers avec le non-renouvellement de la concession du terminal à conteneurs du port de Douala (Cameroun), principal port d’Afrique centrale

Ce plaider-coupable, dans le jargon judiciaire, même s’il n’a pas été homologué par le tribunal judiciaire de Paris, figure dans des documents publics. Au Togo, « les investigations ont mis en lumière un pacte de corruption », indique une ordonnance de validation d’une convention judiciaire d’intérêt public du 26 février.

En outre, le 7 janvier 2021, la personne morale Bolloré SE – la désignation juridique du groupe Bolloré – a reconnu des faits de corruption au Togo et accepté de payer une amende de 12 millions d’euros. L’entreprise « s’est engagée à se soumettre, pour une durée de deux ans, aux audits et vérifications diligentés par l’Agence française anticorruption ».

Ces aveux peuvent-ils entraver la marche du groupe en Afrique ? « Cela devient très compliqué de travailler avec eux. Les règles internationales auxquelles nous sommes soumis nous interdisent de contracter avec une entité qui a reconnu sa participation à un pacte de corruption », relate un banquier.

Un nouveau propriétaire permettrait de remettre les compteurs à zéro.

Sachant que l’activité, même portée par la reprise du commerce mondial, souffre d’une concurrence accrue. Fin 2019, le logisticien français a essuyé un lourd revers avec le non-renouvellement de la concession du terminal à conteneurs du port de Douala (Cameroun), principal port d’Afrique centrale.

Grandes manœuvres

Pour Vincent Bolloré, la question de la sortie de sa forteresse africaine se pose d’autant plus que, en sens inverse, Vivendi (Canal+, Editis, Havas…), dont son groupe détient 27 %, est devenu une belle tirelire. En 2020, la communication a représenté près de 80 % du bénéfice opérationnel du miniconglomérat.

Entre la scission d’Universal Music Group et l’offre publique d’achat (OPA) à venir sur Lagardère, le milliardaire poursuit à marche forcée la transformation du géant des divertissements. Les analystes financiers verraient bien désormais l’industriel et financier breton lancer une OPA sur Vivendi. En juin, Bolloré a promis qu’il ne demanderait pas de dérogation à l’Autorité des marchés financiers pour éviter de mener une offre sur Vivendi, si elle devait en franchir le seuil de 30 %.

Vincent Bolloré a bâti un empire à partir d’une papeterie familiale agonisante, reprise en 1981

Autant dire que ces grandes manœuvres ne seront pas achevées le 17 février 2022, date du bicentenaire de la création du groupe familial, à laquelle le magnat a promis de quitter les affaires.

Mais il ne faut pas minimiser la volonté de Vincent Bolloré de faire le tri dans le bric-à-brac de ses actifs, avant cette succession annoncée. Or, le mieux n’est-il pas de tirer soi-même un trait sur ses premières amours plutôt que d’en laisser la responsabilité à ses héritiers ?

François Pinault a bien fini par quitter le négoce du bois, et Antoine Riboud a lâché ses activités d’emballage. « Plus que Vincent, c’est Cyrille qui est à la manœuvre », assure pourtant un proche du dossier.

Si Vincent Bolloré a bâti un empire à partir d’une papeterie familiale agonisante, reprise en 1981, son premier fait d’armes reste la reprise, en 1986, de la Société commerciale d’affrètement et de combustible (SCAC) auprès de Suez. « Une acquisition qui permet au groupe de prendre pied dans le transit, la manutention en France et aussi en Afrique avec la Socopao », rappelle le groupe dans son récit historique.

Vincent Bolloré n’a ensuite eu de cesse de consolider ces bases africaines par le biais d’autres rachats, comme celui de Delmas-Vieljeux, en 1996, ou de SAGA l’année suivante.

Isabelle Chaperon

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